Le vote utile… Une notion bien floue ! En quoi un vote peut-il être plus utile qu’un autre ?
Ou, plutôt, en quoi un vote peut-il être inutile ?
De manière première, la réponse qui semble évidente est que le vote utile est celui qui se porte sur un candidat ayant de vraies chances d’être élu. A contrario, voter pour un candidat ne pouvant espérer être élu au second tour serait donc inutile.
Dans les faits, les choses sont beaucoup moins évidentes.
Dix candidats sont en lice pour le premier tour : Nathalie Arthaud, François Bayrou, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan, François Hollande, Eva Joly, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou et Nicolas Sarkozy.
Ce n’est pas leur faire injure que de considérer que l’influence de Nathalie Arthaud, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan et Philippe Poutou sur le résultat final de ces élections est plus que marginal : ils relèvent de ce que l’on qualifie généralement de candidatures de témoignage.
Ceux qui, a priori, seraient concernés par un vote utile sont les candidats ayant la plus forte probabilité d’être présents au second tour, à savoir François Hollande et Nicolas Sarkozy. Faut-il pour autant négliger l’importance des quatre autres candidats que sont François Bayrou, Eva Joly, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ? Non, si l’on considère que l’élection présidentielle n’est que la première étape d’un processus plus long qui ne s’achèvera qu’après le second tour des élections législatives. Et là, une notion totalement négligée par les médias entre en jeu : le vote utile “par ricochet“, comprenez l’influence qu’aura ce premier vote sur le second.
Le cas d’Eva Joly est un peu particulier. L’accord conclu entre le PS et EE-Les Verts assure à ces derniers un certain nombre de circonscriptions, le but étant de leur permettre d’obtenir suffisamment d’élus pour constituer un groupe à l’Assemblée Nationale où ils n’étaient, lors de la législature qui vient de s’achever, que quatre. Leur faible score, prévisible, remettra-t-il en cause cet accord ? Difficile d’en juger aujourd’hui et donc de savoir s’il est utile ou non de voter pour cette candidate.
François Bayrou ne dispose pas d’une base électorale assez large, ni pour peser sur l’élection présidentielle, ni pour espérer obtenir le nombre de députés nécessaire à la création d’un groupe à l’Assemblée. Le maximum du MoDem se situe autour des 8%. Paradoxalement, il est cependant le seul en mesure de battre les deux candidats favoris s’il était présent au second tour. Son positionnement lui permettrait alors de rassembler les voix de gauche s’il était opposé à Nicolas Sarkozy et une grande partie des voix de droite s’il était opposé à François Hollande. Mais, faute de disposer de forces suffisantes pour envisager un accord, son éventuelle élection entraînerait inévitablement une cohabitation. Cas typique du vote pour rien, du vote inutile !
Les choses sont beaucoup plus claires avec Marine Le Pen, sûre d’être largement battue si, d’aventure, elle parvenait au second tour. Il est difficile, là aussi, de prévoir son score aux législatives, mais il devrait rester marginal. Un vote tout aussi inutile que le précédent.
Ce qui n’est pas le cas de Jean-Luc Mélenchon. Indépendamment de son éventuel score personnel, il ne faut pas perdre de vue qu’il dispose d’une vraie base électorale qui s’est concrétisée par un groupe de 20 députés à l’Assemblée. S’il n’a pratiquement aucune chance d’être élu, il n’en sera pas moins en position de force pour peser sur la gauche si son score actuel se confirme. Il est celui qui pourra profiter le plus de l’effet ricochet.
Restent les deux candidats principaux, François Hollande et Nicolas Sarkozy.
Pour eux, le “vote utile“ joue à plein. Il peut créer la dynamique indispensable pour leur permettre, à l’un comme à l’autre d’obtenir la majorité indispensable pour appliquer leur programme (pour mémoire, lors de la dernière législature, l’UMP et son allié Nouveau Centre disposaient de 328 députés et le PS de 197). Mais, dans les deux cas, il ne faudra pas négliger l’effet “boomerang“ : une mobilisation massive du camp battu lors des législatives.
C’est particulièrement vrai en cas de victoire de Nicolas Sarkozy qui ne pourra que provoquer une vague importante, non seulement à gauche, mais également à droite, de tous les anti-sarkozystes qui voudront inverser la tendance.
Sur ce dernier point, un chiffre est particulièrement important dans le dernier sondage publié.
A la question : “Vous avez l’intention de voter pour François Hollande avant tout parce que vous souhaitez qu’il soit Président de la République ou bien avant tout parce que vous ne souhaitez pas que Nicolas Sarkozy soit Président de la République ?“ François Hollande ne rassemble sur son nom que 34% des suffrages, alors que 64% de ceux qui déclarent vouloir voter pour lui au second tour ne le font que pour que Nicolas Sarkozy ne soit pas élu !
A l’opposé, Nicolas Sarkozy peut compter sur 47% de ses électeurs, 52% votant pour lui par rejet de François Hollande.
Ces pourcentages, rapportés à la totalité des votants potentiels, permettent de définir le socle électoral de chacun d’eux, c’est à dire les électeurs choisissant ces candidats pour eux-mêmes, pour leur programme, en dehors de toute autre considération : 18% pour François Hollande, 22% pour Nicolas Sarkozy.
En mettant ces chiffres en regard de ceux du premier tour (respectivement 26% et 30%), nous pouvons constater une différence de 8% dans les deux cas, un pourcentage qui correspond donc à un vote utile dès le premier tour. Pour être complet, 34% des électeurs sont prêts à voter pour un candidat qui ne correspond pas forcément à leurs attente uniquement pour empêcher Nicolas Sarkozy d’être élu et 24% pour faire barrage à François Hollande.
En fin de compte, le vrai vote utile n’est-il pas celui qui permettra de donner au président élu une majorité de gouvernement ? Question de point de vue, car d’autres vous diront que c’est celui qui favorisera l’élection d’une majorité qui “corrigera“ le résultat de la présidentielle !
L’utilité du vote est donc parfaitement subjective. Alors, ne laissons pas les médias (dont les penchants sont bien connus) nous imposer leur vision du vote utile.