J’ai toujours eu un problème avec les analystes politiques, nous autres, simples publicitaires, sommes beaucoup plus basiques. En 26 ans de carrière, j’en ai un certain nombre à mon actif, d’analyses et d’études. Elles ont toujours été basées sur des faits et des chiffres bruts, et non sur l’interprétation de ces faits et chiffres. Celle-ci (l’interprétation) vient dans un second temps.
Or, une fois de plus, je constate que les analyses des résultats du premier tour des cantonales prennent pour base des pourcentages, ce qui est une erreur de débutant dans notre métier, et négligent le seul vrai point de comparaison incontestable : le nombre de voix !
Entendons-nous, l’analyse des pourcentage a un réel intérêt pour apprécier la situation à un moment donné, en l’occurrence le vote au premier tour. Mais uniquement de ce premier tour. On ne peut en déduire aucune évolution, sauf à faire des calculs infiniment plus compliqués.
Je donnais toujours cet exemple à mes étudiants : 20 personnes doivent choisir un restaurant, 8 n’ont pas d’idée et s’abstiennent, 5 choisissent le restaurant A, 4 autres le B et 3 le C. Pour un taux de participation de 60%, A obtient 41,67%, B 33,33% et C 25%. Le lendemain soir, même choix mais cette fois-ci 14 s’abstiennent, le taux de participation chute donc à 30%. A obtient 1 voix (16,67%), B 2 (33,33%) et C reste à 3 ce qui fait 50%. Si je pratique une analyse de type “lendemain d’élections“, je ne peux que constater la fulgurante progression du restaurant C qui double le nombre de ses voix. Si je raisonne en publicitaire, je ne peux que constater que C reste parfaitement stable avec 3 voix. Et pour le publicitaire, cette stabilité est un échec, au même titre que la chute de A et B, puisque C n’a pas bénéficié de cette chute.
Raisonnons donc en nombre de voix. Comparer les scrutins de 2004 et 2011 pose un léger problème en raison de deux nouveautés : les suppléants (introduits en 2008) et la barre des 12,5% d’inscrits pour être présent au second tour. Ces deux modifications induisent des négociations avant le premier tour et limitent donc de fait le nombre de candidats (10 361 contre 12 302 en 2004 pour 2 026 cantons). Ces négociations, et les alliances qui en découlent perturbent un peu la lisibilité des résultats, essentiellement du coté de la majorité présidentielle. Dans de nombreux cas, lorsqu’un candidat UMP a un suppléant issu d’un autre parti de la majorité, il prend, fort logiquement, l’étiquette “Majorité Présidentielle“ et non celle de son seul parti. Autre cas de figure, dans certains départements, les candidats issus de différents partis se présentent sous une étiquette commune et, bien évidemment, le décompte national ne peut prendre en compte toutes ces appellations différentes : ces candidats se trouvent donc classés dans les “Divers Droite“ (c’est, par exemple le cas dans l’Allier où une “Union Républicaine“ rassemble des UMP, des apparentés, des divers…)
Cela à d’ailleurs donné lieu à une polémique, au soir du premier tour, lorsque le Ministre de l’Intérieur a additionné les voix des “étiquettés“ UMP et ceux des “Majorité Présidentielle“. L’opposition l’a accusé de gonfler les chiffres pour minimiser la “déroute“. Après avoir parcouru les résultats de plus de la moitié des cantons renouvelables et vérifier l’appartenance politique des candidats, je peux affirmer qu’il ne les a en rien gonflé, au contraire. Il aurait pu ajouter un bon tiers des “Divers droite“ ! Cette polémique était de bonne guerre, mais la situation était connue, François Hollande s’en est même gaussé avec le talent qu’on lui connaît !
Mais revenons au vrai sujet qui réserve pas mal de surprises.
En 2004 : 20 053 956 inscrits, 12 816 940 votants et 7 237 016 abstentionnistes.
En 2011 : 21 296 034 inscrits, 9 439 304 votants et 11 856 730 abstentionnistes.
3 377 636 votants en moins, alors qu’il y a 1 242 078 électeurs en plus !
Ceci représente une baisse de 36%.
Passons rapidement sur l’extrême gauche : entre un Besancenot qui avait le vent en poupe en 2004, le NPA et le Parti de Gauche qui n’existait pas alors, la situation n’est pas réellement comparable. Au mieux, on peut prendre un chiffre global. En 2004, les partis classés à l’extrême gauche avaient comptabilisés 1 369 291 voix contre 870 631 en 2011, soit une perte de 498 660 voix (chute de 36%).
L’UMP, en 2004, avait recueilli 2 574 331 voix. En 2011, les candidats sous étiquettes UMP et ceux sous “Majorité Présidentielle“ (en faisant abstraction des UMP classés comme “Divers“, faute de pouvoir les comptabiliser précisément) obtiennent 1 761 214 voix, soit une perte de 813 117 voix (chute de 32%).
Le PS obtient 2 284 912 voix contre 3 226 525 en 2004, une perte de 941 613 voix et une chute de 29%.
Le FN recueille 1 379 933 voix. En 2004, il en avait obtenu 1 490 315. Sa perte n’est que de 110 382 voix (perte de 7%).
En 2004, les Verts avaient obtenu 502 142 voix, les autres écologistes 48 838. En 2011, la donne change avec les Verts-Europe Ecologie, un mouvement plus important que les seuls Verts de 2004, rejoint par des candidats figurant alors dans les “Autres écologistes“. Ces derniers perdent logiquement des voix de ce seul fait et passe à 34 112. Et tout aussi logiquement le report profite aux Verts-EE qui obtiennent 753 097 voix. Pour une comparaison fiable des deux scrutins il faut, là encore, totaliser l’ensemble des voix écologistes soit 550 voix en 2004 et 787 209 en 2011. Avec 236 229 voix de plus, les écologistes sont les seuls à gagner des voix et progressent de 43% !
Malgré de très profonds changements, nous pouvons également analyser la situation du centre. En 2004, le centre était représenté par l’UDF. Une UDF qui n’avait déjà plus rien de commun avec le grand parti giscardien : Démocratie Libérale (qui représentait 70% de ce mouvement) l’avait déjà quitté pour co-fonder l’UMP, le Parti Radical et la plupart des élus et dirigeants de Force Démocrate avaient également rejoint la nouvelle union. Cette UDF, qui se présentait en 2004, allait se diviser en 2007 pour donner le MoDem d’une part et le Nouveau Centre d’autre part. Son score était de 584 587 voix. En 2011, le MoDem obtient 111 888 voix et le Nouveau Centre 293 543. En totalisant 405 431 voix, le centre en perd 179 156, soit une chute de 31%.
Le constat est évident : les grands partis perdent certes des voix, mais, globalement, leur pourcentage de perte reste inférieur à celui de la baisse du nombre d’électeurs. Deux exceptions notables, le FN qui en perd nettement moins et les écologistes qui progressent de manière significative, confirmant ainsi la dynamique qui avait déjà été observée lors des derniers scrutins.
Pour être parfaitement honnête, la légère baisse du FN peut aussi s’explique par un nombre moins importants de candidats.
Mais la réalité des chiffres est bien là :
- les écologistes sont les grands vainqueurs (en voix) de ce premier tour bien qu’ils n’aient pu obtenir aucun élu,
- le FN se maintient et n’a donc pas profiter d’un supposé “effet Marine Le Pen“, ni d’un afflux de voix d’UMP déçus.
- l’UMP n’a pas subit de déroute, comme se plaisent à le souligner certains médias et à même perdu moins de voix que le PS (et comme je l’ai écrit plus haut, j’ai pu personnellement vérifier que bon nombre de candidats UMP ont été classés parmi les “Divers“ lorsqu’ils avaient fait le choix d’un coalition départementale), mais cela reste quand même une défaite,
- le PS n’a pas vraiment de quoi pavoiser car, à l’issue de ce premier tour, son ambition affichée de conquérir de nouveaux départements semble assez compromise.
Mais rien n’est encore jouer !