Tout le monde, les médias en tête, se focalise sur la prochaine élection présidentielle. Et si celle-ci n’était pas la plus importante ?
Le premier tour de l’élection présidentielle aura lieu le 22 avril, le second le 6 mai. Mais ce n’est qu’une étape, car dès les 10 et 17 juin ce seront les députés qui seront élus. Des députés dont la principale tâche sera de donner au Président, fraîchement élu, les moyens d’appliquer son programme. Encore faut-il que la majorité d’entre eux appartienne au même camp que le nouveau président. Et ça, ça n’est pas gagné d’avance !
Si, dans l’esprit de la plupart des analystes, l’élection présidentielle sera déterminante (les électeurs allant forcément confirmer leur vote en élisant une majorité de même “couleur“), cette logique ne résiste pas à une analyse plus profonde. Cette hypothèse est évidemment la plus probable, mais nous ne devons pas exclure les autres cas de figure et ne pas nous focaliser sur cette échéance. Ne nous laissons pas aveugler par le mirage de la présidentielle et gardons les yeux grands ouverts : la vérité est certainement ailleurs.
Tout d’abord, il y aura un nouveau paramètre à ne pas négliger : le redécoupage des circonscriptions. A titre d’exemple, je prendrais le cas que je connais le mieux, le Haut-Rhin. Jusque-là, le département comptait 7 circonscriptions avec 6 députés UMP et un Nouveau Centre. Avec le nouveau découpage, il n’y en aura plus que 6 députés. Mulhouse était éclaté entre deux circonscriptions : les cantons Est et Sud (votant traditionnellement à droite) et le canton Ouest (votant à gauche) faisaient partie de la Cinquième circonscription, le canton Nord (votant à gauche) de la Sixième. Désormais, Mulhouse formera une circonscription unie dont les deux cantons les plus peuplés votent à gauche ce qui risque fort de changer la donne ! En ce qui concerne ce seul département, et en ne tenant aucun compte de l’élection présidentielle, il y aura un député UMP en moins (celui de la circonscription supprimée) et une forte chance pour un socialiste d’être élu. Des basculement liés à ce découpage étant possibles dans de nombreux départements, le résultat de cette élection devient donc difficilement prévisible.
Mais revenons à nos hypothèses.
L’électorat à profondément changé, il a évolué avec la société. La dernière élection présidentielle avait révélé un nouveau phénomène : après le vote de protestation était apparu le vote de rejet. Les régionales avaient confirmé cette tendance, des électeurs ayant fait le choix de voter pour des candidats dont ils avaient pourtant dénoncé la mauvaise gestion ou contre des candidats dont ils plébiscitaient l’action, le rejet de la politique nationale prenant le pas sur toute autre considération !
La victoire du candidat socialiste face à Nicolas Sarkozy peut entraîner une vague rose comme en 1981, mais elle peut aussi déclencher soit un vote de réaction tant à l’extrême droite (qui connaîtrait alors une poussé sans précédent) qu’au centre (qui deviendrait alors le refuge d’anti-sarkozystes ayant voté à gauche par réaction, mais pris de remords) soit un vote de “raison“ (là encore des anti-sarkozystes de droite qui, après s’être débarrassés de leur “bête noire“ rentrent au bercail et votent à nouveau pour leur famille d’origine).
La même hypothèse est applicable en cas de victoire de Nicolas Sarkozy. Je pense même que le phénomène pourrait être amplifié car, cette fois-ci, les anti-sarkozystes de tous bords seraient ultra-mobilisés ! Vote massif à gauche, voire à l’extrême-gauche et, bien sûr, à l’extrême droite. Et, vraisemblablement, une très forte poussé du centre qui, là encore, serait la “valeur refuge“ de ceux qui ne souhaitent pas le voir conduire un second quinquennat sans pour autant vouloir donner les clés du gouvernement au PS. Le centre serait alors le garant d’une politique plutôt de droite, mais sans les “dérives“ qui sont souvent reprochées à l’UMP.
Ces deux hypothèses ouvrent la perspective d’une cohabitation !
L’absence de l’un ou l’autre de ces deux candidats au second tour est tout aussi envisageable. La stratégie de droitisation à outrance adoptée par une minorité d’élus de l’UMP n’est pas sans conséquence : un électorat traditionnel déstabilisé et en manque de repères (volontairement brouillés par les élus en question), une partie des militants poussés vers la porte… Cela ouvre un boulevard à un candidat de centre droit (le refuge que j’évoquais plus haut). Et cela retire autant de voix à Nicolas Sarkozy. Mais ce n’est pas une éventuelle (et très hypothétique) candidature de Jean-Louis Borloo qui le privera de ces voix-là, elles sont dors et déjà perdues et se reporteront forcément (ou du moins en grande partie) sur un autre candidat. Borloo pourrait les “cristalliser“, les maintenir dans la majorité mais, en aucun cas, il ne les “détournerait“ (mais, à ce jour, nous sommes nombreux à être persuadés que celui-ci n'ira pas au bout de sa démarche). Nous pouvons nous référer à 2007 et au résultat du premier tour de François Bayrou avec 18,57% alors que son électorat traditionnel se situait alors aux environs de 8%. Et l’anti-sarkozysme n’avait pas alors pas encore atteint la droite !
Cela ouvre donc l’hypothèse d’un second tour entre le candidat de gauche et celui du centre droit. Un cas de figure qui laisse la porte ouverte à toutes les spéculations pour les présidentielles, mais également pour les législatives. Bien malin qui pourrait dire si ces dernières confirmeraient le résultat ou provoqueraient une réaction opposée.
Aucun doute, en revanche (du moins pour la présidentielle), en cas de duel avec le Front National. Que ce soit Nicolas Sarkozy ou le candidat socialiste, le résultat ne fait aucun doute. Mais si Nicolas Sarkozy était élu dans ce cas de figure, la cohabitation semble inévitable, car là, la réaction de gauche serait vive et la mobilisation très forte. En cas de victoire du candidat socialiste, la dynamique ainsi enclenchée lui donnerait certainement une majorité. Je passe sur les réaction de la candidate du Front National qui stigmatisera, une fois de plus, l'UMPS, les groupes de pression… Comme je ne doute ni de son intelligence, ni de sa lucidité, je suppose que son discours de défaite doit être écrit depuis longtemps !
Je n’ose aller jusqu’à imaginer un second tour entre les candidats du centre droit et du Front National, mais, en fonction du déroulement de la campagne et de la capacité à mobiliser du premier et à attirer une partie de l’électorat de centre gauche, l’hypothèse est loin d’être farfelue. Et là encore, les législatives promettent d’être très ouvertes avec, peut-être, une majorité moins nette et fluctuante.
Quoi qu’il en soit, je persiste et je signe : ce sont bien les législatives qui seront l’élection déterminante malgré la forte charge symbolique de l’élection présidentielle.